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3/4
Danser au bord du gouffre dans La Valse : Ravel rencontre Poe
La Valse (1919–1920) de Maurice Ravel est un chef-d'œuvre du paradoxe — élégant et frénétique, extatique et apocalyptique. Conçu à l'origine en 1906 sous le titre Wien, en hommage à la valse viennoise et à Johann Strauss, l'œuvre a évolué de manière radicale après la Première Guerre mondiale pour devenir quelque chose de plus sombre et ambigu. Ravel décrivait La Valse comme une « extase dansante, tournoyante, presque hallucinante ». Elle est souvent interprétée comme une métaphore d'une civilisation en spirale vers l'effondrement, ou comme un « cri d’angoisse », selon les mots de Manuel Rosenthal, faisant écho au passé du compositeur comme conducteur d’ambulance pendant la guerre. Rejetée par Diaghilev comme « pas un ballet », La Valse demeure insaisissable, évoquant un monde décadent et condamné dansant vers sa fin.
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Le projet interdisciplinaire 3/4, créé par le Duo Bose-Pastor en collaboration avec le vidéographe Baptiste Leydecker et le chorégraphe Julio Arozarena, réinvente La Valse à travers le prisme gothique d’Edgar Allan Poe. Inspirée par "La Philosophie de la Composition" et Le Masque de la Mort rouge, cette version explore les dualités — beauté et horreur, contrôle et chaos, grâce et destruction — en tant qu’éléments à la fois thématiques et structurels : des forces opposées mais interdépendantes qui convergent en un effet unifié. L’arrangement pour piano à quatre mains de Lucien Garban accentue ces tensions par sa physicalité brute et entremêlée. Une collaboration viscérale entre musique et danse incarne l’urgence d’un monde au bord du gouffre.
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Ravel appelait Poe son « plus grand maître en composition » (New York Times, 6 janvier 1928), partageant une fascination commune pour le macabre et la construction méthodique de l’émotion. 3/4 s’appuie sur ce lien pour dépouiller La Valse de ses interprétations nostalgiques et la présenter comme un miroir de notre propre époque instable — une ère de guerres, de pandémies, de déclin politique et d’effondrement écologique.
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« Nous dansons au bord d’un volcan », écrivait Ravel. La Valse nous le fait ressentir — et 3/4 nous invite à le regarder en face, posant la question : dansons-nous vers la mort, ou vers la transformation ?